12 mars 2008
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Après plusieurs heures de calme plat, simplement troublé par une maman égarée à la recherche de la Vie scolaire, un premier client se manifeste sur les coups de 14h10 (!) Un jeune intrépide vient en effet de passer timidement la tête par la porte du CDI, laissée inconsidérément entrouverte. T-shirt Bob Marley, short à deux bandes, claquettes traînantes… la panoplie complète du petit élève kanak moyen.
Il m’observe avec curiosité, sans mot dire mais en se tortillant dans l’entrebâillement. Ce qui ne l’empêche pas de me rendre le sourire que je lui adresse, ce qui est la moindre des choses mais fait toujours plaisir.
Au bout de longues secondes de statu quo, je me décide à l’interroger du regard, prudemment histoire de ne pas l’effaroucher. Sans succès. Puis, la situation commençant à s’éterniser, je me lance et lui pose carrément LA question :
- Tu veux venir au CDI ?
L’imperceptible haussement de sourcil sur un visage par ailleurs impassible ne me laisse aucun doute quant à l’enthousiasme qui l’anime à l’idée de fouler, pour la première fois de l’année 2008, le sol de cet impressionnant sanctuaire culturel.
Je lui fais alors signe d’entrer, tout en me dirigeant lentement vers lui en signe de détente. Il s’exécute sans me quitter des yeux et en opérant un mouvement tournant autour d’une chauffeuse poussiéreuse, afin de s’assurer un espace de sécurité.
Je lui demande s’il vient de la permanence. Aucune réaction. Je repose ma question plus lentement, en remplaçant le mot « permanence » par celui d’ « étude ». Même résultat.
Je me rends alors compte qu’un minuscule tremblement semble animer ses lèvres, signe annonciateur d’une entame d’ersatz de conversation. Je tends l’oreille, en vain. Le léger ronronnement de la climatisation m’empêche de percevoir l’intégralité du mot qui, j’en suis maintenant persuadé, vient d’être prononcé. Toujours par signe, je m’efforce de le mettre en confiance et l’incite à exprimer de manière synthétique l’intégralité de sa pensée.
Ça y est ! Je viens de discerner un nom, qui vient d’être émis dans un souffle, main devant la bouche et tête baissée. Il s’agit de celui de ma devancière. Diable ! Le garnement me confondrait-il avec cette dernière, dans un moment d’égarement dû à une émotion bien compréhensible ? Je m’empresse de lever toute ambiguïté et lui annonce fièrement que je suis le nouveau documentaliste du collège. Il semble très heureux de cette bonne nouvelle, ce qui n’empêche pas un silence de plomb de retomber instantanément.
Je décide de le rompre à nouveau, tout en faisant preuve d’originalité :
- Et sinon… ça va ?
- Un peu…
La glace est rompue, nous progressons à grand pas.
Mettant provisoirement de côté l’aspect réglementaire de sa situation, qui me semble quand même sujette à caution, je renonce à lui demander un hypothétique billet d’inscription et lui annonce qu’il peut choisir un livre et s’installer pour le lire. Il obtempère, visiblement satisfait de l’accueil qui lui est réservé.
C’est alors que surgit la prof de français :
- Dis-moi, Jean-Pierre, tu as bien cours avec moi, en ce moment ?
Haussement de sourcil affirmatif.
- Qu’est-ce que tu fais là, alors ?
La question étant ouverte, elle reste sans réponse.
- Allez, pose ton livre et suis-moi en cours.
Le petit sauvageon obtempère de bonne grâce, dans un bruissement de claquettes furtives. Le silence retombe sur le CDI.