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15 mai 2008 4 15 /05 /mai /2008 19:28


Aujourd'hui, petit retour en arrière d'un peu plus de 3 mois. Rappelez-vous, je venais d'arriver sur l'île et étais à la recherche d'une maison...


Commence alors une course infernale, sous un soleil de plomb et une chaleur aussi moite qu'étouffante. Chemin faisant, je questionne Roger, mon nouveau compagnon, sur les propriétés de la propriété :

- Elle est bien située ?
- Oui, oui, elle est bonne, me répond-il après un instant de réflexion.
- Il y a combien de chambres ?
- Heu... plusieurs, je crois.
- Elle est loin de la mer ?
- Non. Pas très. Un peu.

A Cengeite (prononcée Tchènegueïté), c'est le coup de foudre du coeur. Le cadre est idyllique, avec un terrain arboré magnifique au milieu d'une cocoteraie et la splendide plage de Yedjele toute proche, même si pas visible.


Quant à la maison, elle semble à première vue plus que correcte. Roger s'adresse en Nengone aux deux femmes que l'on vient de réveiller.
Je formule des vœux pour que l'affaire se réalise, me voyant assez bien vivre, ayant bon goût, dans ce décor paradisiaque. Quelques brefs échanges plus tard et la plus âgée des deux s'adresse à moi, dans un français hésitant, pour m'annoncer que cette maison n'est pas à louer. Devant ma déception manifeste, elle me propose cependant gentiment une solution de remplacement, à savoir la maison voisine (pour ne pas dire mitoyenne) qui est celle de sa soeur. Seul - léger - inconvénient : cette dernière (la maison, pas la sœur) ne possède ni salle d'eau, ni toilettes. Mais je pourrai sans problème utiliser les sanitaires communs, me précise immédiatement la vieille dame, pour me mettre à l'aise.
Je réussis à m'extirper du guet-apens en prétextant un manque de chambre.

Direction Eni, ensuite, un peu plus au Sud. Roger a un cousin qui, l'année dernière, y louait une maison.
- Elle est bien située, cette maison ?
-
Oui, oui, elle est bonne !
- Il y a combien de chambres ?
- Heu... plusieurs, je crois.
- Elle est loin de la mer ?
- Non. Pas très. Un peu.

Nous arrivons sur place une dizaine de minutes plus tard et tombons sur une maison visiblement inoccupée, donc potentiellement libre. Mais il s'agit d'une petite construction en bois, vieillotte, sans aucun charme et située en bord de route sur un terrain pelé sans un poil d'ombre.
- C'est bon ici, hein? me demande Roger, visiblement assez fier de sa trouvaille.
Diplomatiquement, je lui fais comprendre que cela risque d'être un peu juste pour héberger la famille nombreuse qui doit me rejoindre en juillet et que je préfère de beaucoup une maison du style de la précédente.
Peu contrariant, et après avoir réfléchi quelques instants, il m'annonce que la maison d'un de ses oncles va se libérer entre Tadine et Cengeité. « Peut-être », ajoute-t-il, alors que je manœuvre pour faire demi-tour.

Demi-tour, donc, direction la maison du tonton de Roger. Chemin faisant, je m'abstiens de l'interroger sur ce qui m'attend, préférant conserver intact l'attrait de la découverte.
La maison du tonton est, là encore, située dans un cadre idyllique, au milieu d'une autre splendide cocoteraie et, ce coup ci, avec vue sur mer.


n>

Roger émet soudain un cri guttural, surgit du fond des tripes. Je sursaute, mais ce n'est que sa manière à lui d'héler d'éventuels occupants. D'ailleurs, la technique ne tarde pas à porter ses fruits puisque un kanak d'une trentaine d'années, hagard, ne tarde pas à apparaître au bout du couloir. Torse et pieds nus, dreadlocks hirsutes, pupilles dilatées, il avance vers nous d'un pas peu assuré, en se tenant au mur sale. De sa main libre, il se gratte discrètement une couille. Nous le dérangeons visiblement pendant l'heure de la sieste, qui suit logiquement celle de l'apéro. Il manque d'ailleurs de trébucher sur un cadavre de Number One (célèbre bière locale) encombrant le couloir.
Il me tend distraitement une main molle, heureusement celle qui tenait le mur, main molle que je m'empresse de serrer amicalement. Roger s'adresse à lui en Nengone. Un mot revient à plusieurs reprises, celui de « loué », qui ne doit pas avoir d'équivalent dans cette langue. Soudain, sans prévenir, Roger quitte la maison. Surpris, je décide néanmoins de le suivre, d'autant plus que le tonton vient de retourner se coucher en se grattant le fondement.

Nous nous retrouvons, Roger et moi, dans la voiture. Comme je lui demande des explications quant à son départ précipité, il m'explique le plus simplement du monde que la maison n'était pas libre.
- Roule à Tadine, m'enjoint-il alors.
J'obtempère, manœuvre entre les cocotiers et tourne à droite direction la capitale de l'île. Immédiatement, apparaît sur la gauche de la route, côté mer, une sorte de monument mortuaire décoré d'innombrables manous. Devant mon regard interrogateur, Roger croit bon de m'affranchir :
- Yewene, me souffle-t-il.
Ce que je traduis par :
- Il s'agit de la tombe de Yewene Yewene, assassiné aux côtés de Jean-Marie Tjibaou par un extrémiste kanak en décembre 1989 à Ouvéa, lors de la cérémonie de deuil qui suivait la prise d'otage de gendarmes et le massacre de dix-neuf kanak, un an plus tôt.
Et, comme il n'est pas avare de détails, il me précise en tendant le doigt vers la maison que l'on vient de quitter :
- C'est sa famille à lui qui reste là.

De retour à Tadine, Roger me drive jusqu'à la mairie, située en face du port.
- Il y a un vieux qui a une maison, m'informe-t-il.
Grand bien lui fasse, mais le vieux en question, un employé municipal, est absent pour le moment. Ce sont trois secrétaires occupées à papoter dans le hall d'entrée qui nous l'apprennent.
- Et il doit revenir à quelle heure? demande-je, avec l'impatience propre au zoreil moyen.
- Tout à l'heure, me répond-on nonchalamment et non sans une certaine logique. Assied-toi pour l'attendre...
Je m'apprête à m'exécuter, lorsque j'aperçois Roger qui, inépuisable, me fait signe de l'extérieur. Je le rejoins.
- La vieille, là, elle a une maison libre...

Il me présente à une kanak d'une cinquantaine d'années, à la mise impeccable, robe mission éclatante et au sourire avenant.
Pour la énième fois de la journée, j'annonce que je cherche une grande maison à louer au bord de la mer. Mon interlocutrice m'écoute attentivement et, à ma grande surprise, commence dans un français impeccable à me décrire son bien : une maison récente, meublée, située juste à la sortie de Tadine, avec vue sur mer, une petite terrasse, deux chambres, dans un état impeccable et avec une cuisine aménagée, le tout pour 100 000 malheureux francs CFP par mois... J'en ai l'eau à la bouche. Elle se présente, s'appelle Georgette, j'en fais autant, mais moi c'est Bob. On s'en serre dix. Le courant passe bien entre nous, ce qui est indispensable pour ce genre de transaction.
- Est-ce que je peux visiter la maison?
- Non. Pour l'instant, elle est occupée par un prof.
- Mais il doit partir, non?
- Je crois qu'il doit partir. L'année prochaine, peut-être. Si tu veux, je te réserve la maison pour 2009.
Et la voilà qui, le plus sérieusement du monde, commence à m'écrire ses coordonnées pour que je puisse la recontacter dans un an. A sa demande, je lui note à mon tour machinalement les miennes. Mais j'ai le moral qui vient de prendre un sacré coup.

Heureusement, je n'ai pas le temps de gamberger. Voilà en effet l'infatigable Roger qui m'entraîne déjà vers de nouvelles aventures.

(A suivre...)

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commentaires

C
Hello les potos, pas de commentaires particuliers sur ce texte excellent comme d'hab, mais surtout un petit coucou de Nice (je viens seulement de retrouver le lien de ton Blog).<br /> <br /> Bises a vous tous.
Répondre
B
<br /> Les potos sont actuellement au nombre de un, Raymonde ne me rejoignant définitivement qu'en juillet.<br /> Sinon, pour ne plus égarer le lien pour mon blog, voici un truc tout simple: dans "Internet Explorer" tu cliques sur "Favoris" puis sur "Ajouter aux favoris" et le tour est joué !<br /> Bises à vous 4.<br /> <br /> <br />
T
"La Fortune sourit aux opiniâtres"Maxime de Tatie Nicole ...Mais attendons la fin...Pas trop longtemps j'espère...Bisous Tatie
Répondre
B
<br /> Excellente maxime ! Mais la fin, vous la connaissez déjà. C'est une grande maison à Nécé, à côté d'une plage de rêve et 10 000 FCFP de produits d'entretien dans les dents...<br /> Pour les détails (croustillants) de l'opération, c'est le plus tôt possible bien sûr (dès que mon emploi du temps surchargé le permet).<br /> Bises.<br /> <br /> <br />
L
La suite, la suite, c'est trop cruel de nous laisser ainsi dans le "suspense". Je me disais bien avoir râté quelque chose, car un coup tu partais à la recherche du home idéal et un coup le domaine de rêve était trouvé. Ben non, je n'avais rien sauté! Je suis rassurée.<br /> Bises. Laure
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B
<br /> Le problème, c'est que les histoires s'enchaînent plus vite que ce que je n'écris ! Mais tu peux donc être rassurée, tu n'as rien manqué ! Et à bientôt pour la suite...<br /> Bises.<br /> <br /> <br />
C
Je viens de lire "des nouvelles de Mare": Et alors... La suite... c'est pire (ou mieux ) qu'un roman policier... <br /> Cousine V. <br /> Bonne nuit (pour moi) et bises.
Répondre
C
<br /> Salut Cousine V,<br /> Ravi de voir que tu maîtrises les subtilités de l'envoi de commentaires sur ce blog. Bravo !<br /> Et pour la suite, juste un indice, ce n'est pas le colonel Moutarde avec le chandelier.<br /> Bonne journée (pour moi) et bises et vous 4.<br /> <br /> <br />
S
Excellent !! La suite la suite la suite !!<br /> Mais dis moi ... et toi ...tu les as les dreadlocks ????
Répondre
R
<br /> Jamais entre les repas !<br /> <br /> <br />