L’avantage des effectifs légers est de pouvoir aisément mettre en place des pleins paniers de stratégies de remédiation individualisées, comme on dit volontiers dans les salles de cours feutrées des IUFM de France, de Navarre et de Nouméa. C’est ce que j’ai pu expérimenter le plus naturellement du monde, pas plus tard qu’il n’y a pas très longtemps, sur la personne de C., échantillon type du petit collégien maréen moyen.
Ce dernier, comme à son habitude mais plus encore en cette période troublée de grippe du cochon, fait une entrée remarquée dans ce somptueux sanctuaire culturel qu’est le CDI du collège. Remarquée car remarquable, le bas du visage, jusque sous les yeux, enfoui dans un col montant de sweat-shirt informe et décoloré. Ce que l’on pourrait assimiler hâtivement, en métropole, à une volonté suspecte de dissimulation du visage dans le but peu avouable de contrevenir au règlement intérieur sans se faire gauler, relève, ici, de la plus élémentaire des hygiènes. Cela permet, en effet et tout à la fois, de tousser sans exposer son interlocuteur aux bacilles porcins, tout en se mouchant subrepticement dans la surface du tissu ad hoc qui en a de toutes façons vu d’autres.
Mais l’opération, accompagnée de force raclements de gorge profonde, commençant à prendre des proportions inquiétantes et craignant un débordement de substances morvesques par un effet prévisible de trop plein, je prends l’initiative d’intervenir. C’est tout moi, ça.
Je tends au petit enrhubé de frais, sans mot dire mais en retenant ma respiration, un splendide Kleenex de ma collection personnelle, propre et plié bien comme il faut. Le genre de mouchoir modèle que l’on peut apercevoir dans les publicités, si tu vois ce que je veux dire.
Surprise de l’intéressé qui fixe le bout de papelard immaculé d’un œil suspicieux.
- Mouche-toi, crois-je bon de lui intimer, devant l’absence totale de réaction.
Interloqué devant tant d’originalité et réprimant difficilement quelques petits soubresauts nerveux, il plaque alors le minuscule carré, sans même l’avoir déplié, contre son orifice nasal et expulse violement un jet de morve de bonne tenue qui déborde instantanément du fragile réceptacle. Une substance gélatineuse se répand alors sur ses joues rebondies, sa bouche grande ouverte et sa main malhabile.
Déduisant sûrement son fourvoiement à la lueur de mon air aussi circonspect que réprobateur, il entreprend alors de réparer le dommage en se passant hâtivement le mouchoir barbouillé sur le visage, tout en parachevant son œuvre d’un coup de manche aussi furtif que réparateur. N’en jetez plus, faut-il vous l’emballer ?
- Ho ! C’est comme ça que tu te mouches, toi ?
- …
Pédagogie, quand tu nous tiens… Retenant à grand peine un léger spasme devant ce tableau peu ragoûtant et prolongeant mon apnée initiale d’une dizaine de secondes supplémentaires, je lui tends du bout des doigts un nouveau Kleenex, non sans lui avoir inculqué au passage quelques notions élémentaires de savoir-vivre telles que le dépliage, le soufflage par le nez (bouche fer-mée !) et l’emballage cadeau final direction la poubelle. Une leçon pareille effectuée sans respirer (et sans fiche de prép'), il faut le faire !
Le petit sauvageon semble de plus en plus gêné devant mes explications saugrenues et tente vainement de se dissimuler à l’intérieur de ses bras protecteurs.
- Allez, souffle ! l’encourage-je d’un ton motivant qui fait trembler les vitres.
Il se lance, expectore gauchement dans un flot de germes sournois et, perdant toute contenance, passe le brimborion de pelure souillée sur son crâne, dans un geste auguste et purificateur.
- Mais… qu’est-ce que tu fais ???
Effarement de l’interpellé devant une question aussi incongrue :
- Monsieur ! Moucher !
Il n'aura pas échappé à ta sagacité legendaire que la série de photos de cases qui émerveille présentement ta pupille juvénile n'a strictement rien à voir, même avec toute la bonne volonté du monde, avec le texte ci-dessus. Tous ces clichés ont en effet été pris à Lifou, entre deux visites d'église. Tu ne me voyais quand même pas illustrer cet article déjà bien peu râgoutant avec des photos prises sur le vif, non ?