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10 juillet 2009 5 10 /07 /juillet /2009 22:48


Le Paradis, c'est bien joli, mais à condition de ne pas vouloir le quitter. N'importe quel angelot de mes connaissances te le confirmera. Car, bien souvent, c'est à ce moment là que les ennuis commencent et qu'on se dit qu'on donnerait  n'importe quoi pour être n'importe où ailleurs.
Madame Tazar en a fait l'amère expérience, pas plus tard qu'hier soir. Ayant en poche un précieux sésame pour la métropole, sous la forme d'un splendide ticket électronique Nouméa / Nice (aller-retour !) estampillé Air France, il lui restait à résoudre l'équation (à plusieurs inconnues variables) suivante : étant entendu que je décolle de Tontouta (Nouméa) pour la France vendredi à 01 :30 (jeudi soir, donc), à quel moment dois-je quitter Maré pour rejoindre la capitale, sachant qu'il n'y a que deux vols par jour (un le matin, un en fin d'après-midi) et qu'une révision technique, une panne, une grève ou une intempérie est toujours possible ?

Le bon sens commun, la jurisprudence Chapelle et Bibi himself prônent généralement pour un minimum de deux avions de sécurité, donc pour un départ la veille. Madame Tazar, quant à elle, estima péremptoirement que ça allait bien comme ça et qu'un départ le matin même de Maré, c'était largement suffisant, non mais !
Deux décennies (et des brouettes) de pratique de la psychologie féminine m'ayant enseigné à la fois sagesse et abnégation, je ne me perdis point en discussions stériles et la laissai modifier le mercredi soir initial en un jeudi matin de tous les dangers.

Dès la nuit précédant son départ, Madame Tazar commença à regretter son choix. Une sévère dépression atmosphérique nous tombi (ou nous tomba, je suis paumé, moi, avec tous ces passés simples à la mords-moi le noeud) en effet sur la gueule, avec des trombes d'eau et les bourrasques de vent qui vont bien avec. Un vrai temps à ne pas mettre un chien bleu dehors, encore moins un ATR d'Aircal.
La perturbation se prolongea toute la nuit, jusqu'au début de la matinée. Puis, la pluie commença miraculeusement à faiblir, avant de s'arrêter complètement, permettant à la piste de l'aérodrome de commencer (doucement, on est dans les îles, quand même) à sécher. Je me trouvais alors au collège, Madame Tazar, quant à elle, arpentait nerveusement le hall principal (car unique) de l'aérodrome de La Roche, distant de seulement quelques centaines de mètres de l'établissement scolaire, concentrée sur le rognage intégral des ongles de ses dix doigts.

C'est au moment où le moral commençait à reprendre des couleurs (avec cependant un ciel toujours aussi lourd) que se produisut un évènement que l'on pourrait qualifier d'hautement improbable dans n'importe quelle contrée de France et de Navarre métropolitaine, mais qui, bien que non encore répertorié dans les annales des impondérables maréens, est ici du domaine du tout à fait possible.

Laisse-moi te le narrer, tu me laisses ? (et au présent, j'en ai ma claque d'ouvrir le Bescherelle)

Quelques minutes avant l'arrivée du vol en provenance de Nouméa, un chien errant s'aventure sur le tarmac. Tatatan ! Le camion de pompier se lance à sa poursuite. Zimboum ! Le chien quitte la piste et se met à courir sur la pelouse attenante. Le camion le suit, se met en travers et s'embourbe. Générique de fin, on remercie les acteurs, l'action n'a duré que quelques secondes.
C'est bien sûr ce moment que choisit ce con d'avion pour se pointer dans le ciel brumeux. Un premier tour de reconnaissance au dessus du tarmac, puis un second pendant qu'au sol on s'agite, en vain. Le camion de pompier est indisponible, qui plus est arrêté en travers, en bord de piste. Les conditions de sécurité ne sont plus réunies, alors que le sol est pourtant maintenant asséché. Quelques minutes de flottement plus tard, l'ATR fait demi-tour avec ses 50 passagers, back to Nouméa.

Panique au sol ! Inutile de compter se rabattre sur le Betico 2, (le nouveau NMV, navire à moyenne vitesse, qui vient de remplacer le Betico 1, dit le Vomico), immobilisé à Nouméa par une grève de l'USTKE (celle-là, de grève, je ne l'ai pas trop suivie, mais j'imagine sans trop de risque d'erreur qu'il doit s'agir d'un légitime mouvement syndical de protestation contre le licenciement abusif d'un marin saoul ayant piqué dans la caisse pendant sa période d'essai).
Ne reste plus que le vol de 17:10. Le problème, c'est qu'il ne reste plus beaucoup de places disponibles sur ce vol, 19 exactement, et que les candidats sont forcément beaucoup plus nombreux.

S'ensuit une période de flottement, au cours de laquelle chacun des prétendants en puissance expose à la préposée, barricadée derrière son guichet,  les raisons vitales qui le pousse à se rendre à Nouméa au plus vite. Cette dernière, au flegme tout maréen, tente imperceptiblement une première question pour voir (« est-ce qu'il y a des gens qui veulent rester jusqu'à demain ? »), puis, devant l'absence de réaction, tapote mollement sur son clavier pour se donner une contenance, apparemment imperméable à toute cette agitation. De temps en temps, cependant, et selon des critères connus d'elle seule, elle retire un billet de la pile posée devant elle, fait un petit commentaire en Nengone et annonce le nom de l'heureux gagnant à un cousin retenu pour le vol de 17:10. Bingo !

Après une heure de bousculade, d'incompréhension, de quiproquo, de suspicion, de revirement et de tension, Madame Tazar obtient la confirmation (bucale) de son admission sur le vol de l'après-midi, avec retrait des billets à 16 :00. Sauf contrordre toujours possible, bien sûr...

Un aller-retour à Cengeité plus tard et Madame Tazar refait son apparition à l'aérodrome de La Roche, un peu tendue. Il est 15 :30, le temps est toujours gris mais la pluie a cessé. Elle a, par contre, été insidieusement remplacée par un vent assez fort et, encore plus grave, par un avis d'alerte orange de Météo-France (Soyez très vigilant : des phénomènes météorologiques dangereux sont prévus ; tenez-vous au courant de l'évolution de la situation météorologique et suivez les conseils de sécurité émis par le Haut-Commissariat.)

17 :00. L'avion n'est toujours pas en vue. Madame Tazar est liquide sur le siège passager de ma Clio véloce, habilement rangée sur le parking de l'aérodrome. A la question de savoir si l'avion était bien en route, la préposée au guichet, dissimulée dans une robe mission couleur moutarde du plus bel effet, a répondu un « ^^, ... je crois » qui, curieusement, n'a pas eu l'effet rassurant escompté. L'attente se prolonge.
Alors que l'obscurité commence sournoisement à recouvrir l'île de son voile inquiétant (un jour, quand je serai grand, j'écrirai...), un vrombissement sourd et grandissant se fait entendre, annonçant l'arrivée de l'ATR tant attendu. Le premier passage traditionnel en provenance du sud, un détour par les lointaines falaises du nord où il vire et le voilà qui revient, tout fier avec ses feux de position scintillants. Damned ! Il n'est pas dans l'axe de la piste. Dis-moi pas que c'est pas vrai !
Le voilà qui nous passe au dessus du citron et repart en direction du sud. Madame Tazar, toujours dans la voiture, ne s'est rendue compte de rien.  Je scrute anxieusement l'horizon, redevenu désert. Au sol, les Kanak, qui ont observé la même scène que moi, restent stoïques. Le résultat d'années d'entraînements, sans aucun doute...

Plusieurs minutes interminables s'écoulent, et, alors que je commence à chercher dans ma tête une formule apaisante pour annoncer à ma tendre et douce que son voyage en métropole est remis à une date et une année ultérieure, le miracle se produit et l'avion refait son apparition. Un nouveau passage, les falaises, le retour, cette fois-ci dans l'axe et à très basse altitude...
Madame Tazar est sortie de la voiture, tout sourire :

- La prochaine fois, je t'écouterai. Mais je voulais rester une nuit de plus avec toi...

Lôngin, qu'est-ce que tu veux répondre à ça, toi ?

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