En Nouvelle-Calédonie, parallèlement aux trois grandes subdivisions administratives (Provinces Sud, Nord et des îles), existent huit aires coutumières dont Nengone, l'aire de Maré. Nengone est elle-même divisée en huit districts coutumiers, qui répondent aux doux noms de Guahma, La Roche, Pénélo, Tadine, Tawainedre, Wabao, Eni et Medu (le petit dernier), chaque district comprenant un nombre plus ou moins important de tribus, trente au total sur l'ensemble de l'île.


Le district le plus important est celui de Guahma (douze tribus) dont le grand chef se trouve donc de ce fait être également le grand chef du tout Maré.
Contrairement au maire de l'île, élu démocratiquement il y a quelques mois selon les bonnes vieilles règles de la République, le grand chef règne sur ses sujets de père en fils. C'est ainsi que, en juin 2007 et devant plus de deux mille personnes (sur un total de 8 000 habitants recensés dans l'île, dont 97% de kanak) rassemblées devant la grande chefferie de Nece (l'une des douze tribus du district), Dokukas-Henri Naisseline, 33 ans, a été intronisé grand chef coutumier de Guahma par son père, Nidoïsh Naisseline.
Ce dernier, ancien fondateur, à la fin des années 60, du groupe radical indépendantiste les « Foulards rouges », lui a confié « la (lourde) tâche de conduire les destinées du district de Guahma, dans cet avenir jonché de hasards et d'incertitudes ».
Le nouveau grand chef, dont le nom signifie « le seul, l'unique » en langue Nengone, longs cheveux bruns tombant sur un sweat sportwear, lunettes de soleil profilées, arbore nonchalamment un look de surfeur baba-cool qui détonne un peu au milieu de ses sujets, plus portés sur le triptyque reggae/Bob/Jamaïque.
Toujours est-il que l'avenir lui appartient (ainsi, également, qu'à ceux qui se lèvent tard).
Ce long développement ampoulé, à destination exclusive des amateurs éclairés, pour introduire la belle cité de Nece qui, en plus d'accueillir sur ses terres la grande chefferie du district, a l'honneur et l'avantage de m'héberger en son sein.
De ma terrasse, j'ai un point d'observation idéal pour étudier les pérégrinations de mes coreligionnaires qui déambulent le long de la route au gré des rendez-vous d'affaire ou du vent. Une femme poussant une brouette remplie d'ignames, un gamin en tenue de foot et cartable au dos se rendant à l'école en dansant, un groupe de kanak vagabondant un radio-cassette sur l'épaule, mon voisin et néanmoins pote, Luc, chevauchant son scooter véloce cheveux au vent... les distractions ne manquent pas.


Située sur la côte ouest, la côte des plages (d'où son surnom, un brin ironique, de « cité balnéaire » attribué par les gens du nord et du centre, sûrement quand même un peu jaloux), Nece s'étend langoureusement le long de la route municipale, sur deux kilomètres environ.
Quelques maisons en dur en bord de route, certaines désaffectées, deux ou trois chemins de traverse qui mènent à la mer, bordés de maisons en tôle et de cases... Il faut quand même rester vigilant lors de la traversée du bourg, sous peine d'en ressortir sans même s'en rendre compte.



Le point central de la tribu, lieu de rendez-vous et de passage incontournable pour les locaux, est constitué par le magasin « Chez Sophie », tenu par le sympathique et débonnaire John.
Ici, point de musique sirupeuse d'ascenseur occidental, mais du kaneka à fort volume toute la journée. Une seule exception à la règle : tous les jours, à partir de 18 heures, la sono laisse la place au poste télé, pour le rendez-vous incontournable avec Marina, la soupe quotidienne servie par le petit écran.
Des rayons « alimentation » relativement bien fournis (une fois les vieux schémas métropolitains oubliés), une partie « habillement » qui a laissé Madame Tazar dubitative, un point presse constitué exclusivement et royalement des Nouvelles Calédoniennes, LE quotidien local (lorsqu'il arrive jusque là, ce qui n'est pas souvent le cas), et, coco sur le bougna, une station-service fort utile et appréciée. En effet, lorsque la pénurie d'essence guette et que les deux autres stations de Maré, à Tadine et à La Roche, ont les réservoirs à sec, chez Sophie, il en reste toujours un peu. Comme dit mon pote Pierre-Jean (qui, lorsqu'il ne fait pas le gestionnaire au collège, a beaucoup d'humour), Sophie, elle a les cuves les plus profondes de l'île !

Ici, point de transports en commun (hormis le ramassage scolaire), de bureau de poste ou de banque, de snack ou de restau, ni même de Jazz-Rock Café. Mais une école (maternelle ET primaire), une laverie (chez l'habitant), un apiculteur et une cabine publique complètent timidement le tableau des activités économico-tertiaires du coin, sans le dénaturer pour autant. En effet, hormis cette légère et ultime concession à la sauvage mondialisation capitalistique, Nece conserve toujours son caractère fortement authentique, fait de respect des traditions et d'une rusticité de bon aloi.
Et puis, il y a la mer...
(A suivre)