Résumé de l'épisode précédent : Une nouvelle pédagogie, la « pédagogie Tazar », est en cours d'expérimentation au collège de La Roche. Le monde de l'Education retient son souffle.
Après deux semaines d'intense observation, j'ai pu constater divers phénomènes, tous évidement plus passionnants les uns que les autres. L'ensemble de ces observations doit donner lieu à une étude approfondie dans la prochaine parution des « Cahiers pédagogiques », la Bible de tout enseignant qui se respecte, à paraître au mois de décembre 2008.
Je vous les livre cependant ici en exclusivité, ce qui est la moindre des choses.
1/ Aucun élève ne m'a fait la moindre remarque, ni posé la moindre question quant à l'origine ou la raison du phénomène.
Dois-je en conclure, la plume tremblante d'une émotion mal contenue, un frisson glacé me parcourant l'échine, qu'ils n'en auraient strictement rien à foutre ?
Cela est bien possible, après tout, bien que je ne puisse me résoudre à imaginer pareille extrémité. Tout être humain normalement constitué ne peut que se sentir ébranlé devant ce spectacle terrible d'une rangée de livres entièrement retournés. Et un marmot de onze à quinze ans, contrairement aux apparences trompeuses, est un être humain au même titre que toi, moi ou mon lapin nain.
Non, l'explication est forcément ailleurs.
2/ Aucun livre n'a été replacé à l'endroit.
Ou plutôt, si. Ils l'ont tous été, mais l'endroit étant ici l'envers, le problème reste le même ce qui me laisse tout retourné.
Cela est cependant très intéressant à noter et remet beaucoup de croyances anciennes en cause, notamment la théorie des professeurs Bidet & Ginepi tendant à démontrer « le mécanisme pavlovien de rébellion du sauvageon moyen en milieu hostile » (in Magnard éditions).
Cela prouve quand même qu'un sens commun peut exister. Cela n'est tout simplement pas le même que le mien, c'est tout.
Une question, alors, me taraude violemment derrière le crâne, là où ça fait le plus mal : « le vrai sens, dans cet hémisphère inversé où les gens sont censés marcher la tête en bas (et non pas sur la tête), ne serait-il pas celui là ? Je frémis à cette pensée et décide de creuser la question (pas trop profond quand même, l'Australie n'est pas si loin).
Et puis, comment expliquer alors le troisième point, car il y a un troisième point, qui va mettre à plat cette belle hypothèse ?
3/ Certains élèves ont quand même visiblement éprouvé des difficultés pour retrouver un livre (dont la tranche était, je le rappelle aux distraits, du mauvais côté).
Nous voici enfin entre gens de bonne compagnie. C'est tout à leur honneur et je les en félicite (même s'il est quand même difficile de repérer les difficultés résultant de cette inversion soudaine des multiples difficultés habituelles).
Les moins regardants sur la qualité ont attrapé, en aveugle, le premier ouvrage leur tombant sous la main et ont entamé sans vergogne leur exposé sur les Dieux grecs à l'aide d'un ouvrage intitulé « Mieux comprendre les drogues ». Pourquoi pas, après tout, Athéna et consorts devant sûrement s'en mettre plein les narines.
Les plus affûtés, quant à eux, rompus aux arcanes sournoises du CDI, ont contourné l'étagère en même temps que le problème, entreprenant des fouilles géologiques en passant leurs petits bras à travers la galerie opposée, celle des Arts et des 700 (plus communément appelée "coin des violets").
Peu importe, après tout, seul le résultat compte. Même s'il n'a pas été, là non plus, très brillant.